Par Reza Moghaddassi
Nous pensons parfois que plus l’homme avance dans la compréhension de la vérité, plus il manipule des pensées complexes et difficiles à saisir pour le commun des mortels. Or les vérités les plus profondes sont peut-être les plus simples à comprendre — mais les plus difficiles à mettre en pratique. Il y en a même une qui est une évidence et qui peut être comprise sans avoir lu des livres ni fait de longues éludes : nous allons tous un jour mourir. Je ne serai pas toujours de ce monde et les autres qui m’entourent, connus ou inconnus, vont eux aussi, tôt ou tard, disparaître — la mort n’étant pas plus proche du vieillard que du nouveau-né.
Pourtant, cette vérité connaît, chez la plupart d’entre nous, le même destin que toutes les autres pensées qui nous traversent sans être pleinement digérées : elle ne se traduit pas dans notre manière de vivre. Il ne s’agit pas de penser tout le temps à sa mort, mais d’avoir suffisamment intégré sa finitude pour en tirer toutes les conséquences existentielles. Dans les faits, nous avons tendance à vivre comme si nous étions immortels. Loin de nous libérer de notre finitude, cette manière de vivre appauvrit considérablement notre existence et notre relation aux autres. Non seulement elle est fausse, mais elle est également pernicieuse, car elle nous amène à remettre sans cesse à plus tard le souci de l’essentiel. Selon le philosophe Martin Heidegger, une telle attitude caractérise une existence « inauthentique », car l’authenticité — terme plus cher à ce philosophe que celui d’« essentiel » — exige de « devancer la mort », donc de s’ouvrir à ce qui est une dimension fondamentale de notre condition humaine. La mort n’est pas simplement un événement qui nous attend au terme de notre vie. Elle est une possibilité au cœur même de notre présent. Et la conscience de cette possibilité, ici et maintenant, permet de faire plus profondément l’expérience de ce que signifie être. Il ne s’agit pas de développer des pensées morbides ou déprimantes, mais de donner au présent une densité et une consistance, de le rencontrer dans sa plus profonde vérité.
Vivre avec la conscience profonde que nous pouvons ne plus être là pour très longtemps encore, avec la conscience permanente — et non furtive — que nous pouvons mourir dans quelques minutes comme dans quelques années change radicalement notre expérience de la vie et nous invite à être moins superficiels. Bien plus qu’une idée, cette conscience de la mort engage une puissante transformation de notre regard et de notre vécu. Comment pourrions-nous quitter nos proches sur une dispute ? Peut-on vraiment les retrouver sans ressentir dans notre cœur une forme d’allégresse ? Comment ne pas devenir plus enclin à pardonner et plus désireux de se réconcilier ? Véritable appel à être plus doux dans nos relations, moins tièdes dans nos combats, moins éclatés et plus recueillis, etc., ce sont tous nos choix de vie qui peuvent porter la marque de ce devancement de la mort.
Source : La soif de l’essentiel, rendre sa vie plus profonde – collection Poche Marabout, janvier 2018