Par Corinne Viggiano
Dans cette époque de bouleversements, marquée par le changement et la perte des repères traditionnels, il m’apparaît opportun de faire un retour sur mon métier d’enseignante que j’exerce en lycée professionnel dans l’Éducation nationale depuis de nombreuses années déjà.
J’aimerais soulever l’aspect humain du métier d’enseignant dont on parle trop peu et qui, pourtant, constitue le socle de toute transmission. Un aspect négligé dans les discours des instances officielles, davantage préoccupées par l’évolution technique du métier, avec l’intégration du numérique et de l’intelligence artificielle.
Par expérience, je dirai qu’on n’enseigne pas seulement une matière, on témoigne aussi de ce que l’on est par notre seule présence – ce qui implique une responsabilité plus large que celle d’enseigner, provenant de la nature même des relations humaines.
Dans un échange humain, soit on s’enrichit mutuellement, soit on se combat et on tombe dans l’incompréhension et les rapports de force. On a le choix : donner le meilleur de soi par la pensée, l’acte et la parole, ou communiquer à l’autre un déséquilibre, une incohérence dans la pensée, l’acte et la parole.
Toute relation humaine est satisfaisante à partir du moment où elle apporte aux parties concernées par l’échange un surcroît d’équilibre, de force et d’ouverture d’esprit. Cet éveil à notre humanité est sous-jacent à toute forme d’apprentissage et de transmission, faute de quoi l’acte d’enseigner, dépourvu de sens, est réduit à une mécanique sans âme.
Un bon enseignant doit être non seulement compétent, mais aussi profondément humain. Cette exemplarité ne signifie pas qu’il doive être parfait, sans défauts ni faiblesses, ni qu’il doive se couler dans une conformité sociale et n’avoir aucun sens critique. Non, il doit aimer ses élèves, être capable de voir au-delà des apparences, sociales, culturelles, personnelles, de percevoir la jeunesse non pas uniquement comme un groupement d’élèves, mais avant tout comme des êtres humains, des Hommes en devenir qui ne demandent qu’à être pleinement eux-mêmes, à servir la société avec ce qu’ils ont de meilleur en eux.
L’humanité ne relève d’aucune croyance, ce n’est ni une idéologie, ni une morale, c’est une empathie naturelle, qui vient du cœur, une reconnaissance pleine et entière de l’autre dans ce qu’il est.
Malheureusement, dans la société superficielle et dégénérée qui est la nôtre, la révélation de notre humanité n’est pas le souci premier de l’éducation, perçue davantage comme le moyen de soumettre des citoyens au modèle économique et financier dominant plutôt que de former des individus libres et autonomes dans leur esprit, capables d’engendrer un contexte social équilibré.
Conséquence logique de notre perte d’humanité par une vision de l’existence réduite à un simple gagne-pain pour jouir et consommer, l’éducation perd de son sens et devient uniquement le moyen de transmettre un savoir « utilitaire » (des compétences interchangeables tout au long de la vie en fonction de la demande du marché) que l’on peut aussi bien acquérir seul devant un écran d’ordinateur.
Le nouvel engouement de nos élites pour l’enseignement en « distanciel » plutôt qu’en « présentiel » témoigne de cette perte d’humanité et annonce les dérives du transhumanisme qui considère que la prochaine étape de l’évolution humaine consiste dans une hybridation homme-machine.
Pour retrouver une éducation digne de ce nom, il est donc URGENT de resituer le sens de l’existence humaine dans le contexte universel et unitaire de la Vie ; il nous faut redécouvrir la mission naturelle de l’Homme qui est d’évoluer en conscience et d’utiliser ses capacités créatrices pour bâtir une société plus juste et solidaire, en dehors de tout conflit d’intérêt.
Source : https://www.vivrelibre.net – Mai 2021