Par Diane Combes, professeur des écoles en maternelle.
Les premiers jours de la rentrée scolaire sont déterminants pour toute l’année. Les relations qui s’instaurent à ce moment-là ainsi que le mode d’interaction institué entre les adultes, porteurs de l’autorité, et les élèves sont capitaux.
Aussi, dans ma classe de maternelle, je ne tarde pas à raconter La leçon de Professeur Hibou(1). Cette histoire éveille l’enfant à l’Autorité intérieure, celle de la Vie, qui lui parle à travers la voix de son cœur. Après avoir défini les règles de fonctionnement de la classe, dès les premiers jours, je lis l’histoire puis j’adopte un positionnement d’observation et d’accueil. Le récit opère de lui-même ; les enfants, qui sont tout ouverture et encore en lien avec leur dimension profonde, saisissent immédiatement le sens et la portée du message. Ma tâche est alors d’être vigilante pour maintenir une ambiance de calme, un équilibre entre les différentes activités et une certaine liberté d’action ; autant de facteurs extérieurs nécessaires pour être en mesure d’écouter sa conscience et de vivre en accord avec celle-ci. Je relis l’histoire plusieurs fois selon la demande puis, rapidement, les élèves se l’approprient en la jouant.
Par la prise en compte de la référence intérieure commune du cœur, un lien se tisse entre tous et c’est par le regard qu’une complicité naturelle s’instaure permettant d’entretenir le bon positionnement de chacun.
Bien sûr, les enfants qui nous arrivent sont pour la plupart perturbés – certains gravement –, fatigués, voire épuisés par des rythmes de vie inadaptés, généralement sans repère pour se gérer eux-mêmes, souvent enfermés dans leur bulle et déjà abîmés par l’usage intensif des écrans. Il n’empêche qu’en les éveillant, avec patience et constance, à l’Intelligence du cœur en même temps qu’ils développent leurs compétences et leur pouvoir d’action, l’on voit des enfants se transformer, s’épanouir et développer harmonieusement leur personnalité.
Nous suivrons deux enfants : Elsa et Franck(2), en guise d’exemple. Elsa, petite fille de 5 ans, a un comportement de meneuse et de chipie ; elle impose sa volonté personnelle aux garçons au point de les plaquer au sol pour les embrasser ; elle a été séparée de ses camarades de l’an passé. Franck, petit garçon de 5 ans, est ce qu’on appelle un « électron libre », il est imperméable à toute remontrance et prend un malin plaisir à embêter les autres ; il a lui aussi changé de groupe. Tous les deux ont tendance à être insolents et provocateurs. Leur vivacité fait aussi qu’ils peuvent ne pas hésiter à renvoyer de plein fouet l’incohérence des adultes.
Dès le premier jour de classe, à la suite d’un exercice d’écoute du silence en préalable à l’apprentissage de l’écoute de la Conscience, ces deux enfants se sont écriés : « Ça fait du bien ! », « J’adore le silence ! ». Ils trouvaient là, sans nul doute, réponse à leur besoin profond.
Quelques jours après avoir été particulièrement touchée par l’histoire de La leçon de Professeur Hibou, Elsa était déjà méconnaissable et depuis, le changement perdure. Elle a demandé à son cœur si c’était bien de forcer les autres à se laisser embrasser et la réponse étant « Non », elle n’a jamais recommencé. Elle est posée, autonome dans le choix de ses activités et prend un soin infini avec les poupées. Si l’on emploie un autre moyen que la référence à son cœur pour la rappeler au calme, elle proteste, boude et se plaint à sa mère…
De son côté, Franck, toujours porté vers l’agitation, sait se remettre en question dans l’instant ; il change dès qu’il ferme les yeux et se centre sur son cœur. Cependant, il n’est pas stable dans son positionnement, il dit que c’est difficile pour lui d’être sage même s’il entend la voix de son cœur. Il est chagriné quand il prend conscience qu’il a agi de façon contraire à ce qu’il sent avoir à faire
Pour que l’autonomie, sur le plan intérieur, s’acquière et se vive en dehors des limites de la classe, il faut du temps. Dans le contexte des activités périscolaires, les deux enfants retrouvent leurs vieux démons et j’entends des plaintes. C’est la preuve que les enfants ont besoin d’être accompagnés pour bien grandir et ceci dans un environnement adapté, où la paix, le repos, le silence et la liberté sont cultivés pour rendre possible l’écoute de la voix intérieure.
À un moment, quand le travail d’autonomie prend racine, la référence de l’enfant n’est plus seulement l’adulte qui l’accompagne, mais sa propre conscience. Un jour, Franck au retour de la cantine m’a dit : « Je suis fier ! », je lui ai demandé pourquoi et il m’a répondu : « Mon cœur est fier de moi parce qu’à la cantine, je n’ai pas fait de bêtises ! ». Quant à Elsa, elle a exprimé : « Quand je fais le silence, je sens que c’est bien. »
On ne peut qu’espérer qu’un maximum d’enfants bénéficient d’une éducation à l’autonomie, au sens des responsabilités et à la dignité qui, par le biais d’outils comme La leçon de Professeur Hibou, développe leur potentiel de sagesse, de bonté et de créativité dont nous avons grandement besoin pour renouveler notre monde.
Notes :
(1) La leçon de Professeur Hibou : https://www.lesateliersdelaplume.fr/ateliers-decriture-editions/
(2) Le prénom des enfants a été changé.
Source : https://www.vivrelibre.net – Septembre 2019