TERME CREUX OU PROMESSE D’UN MONDE NOUVEAU ? (1)
par Georges Krassovsky
On parle actuellement beaucoup – et dans les milieux les plus divers – du « nécessaire changement de mentalité ». Je ne peux qu’y souscrire mais je ne suis pas sûr du tout que j’entende par « nouvelle mentalité » la même chose que la plupart de ceux-qui y font allusion. Je n’y vois, en effet, ni une façon détournée de condamner l’égoïsme (ce qui n’a rien de nouveau !), ni je ne sais quelle approche « globale », « holistique » ou « structuraliste » (ce qui me paraît plutôt flou). Non, rien de tout cela !
Pour moi, la nouvelle mentalité est avant tout UNE MENTALITÉ CONCILIATRICE, c’est-à-dire qui tend à concilier les contraires (que ce soit dans le domaine des opinions, des idées, des idéologies, ou dans celui des intérêts et des méthodes d’action). Je ne voudrais toutefois pas me laisser enfermer dans une formule unique. J’estime, en outre, que la compréhension de quoi que ce soit est toujours meilleure si l’on arrive à exprimer la même idée de façons différentes. Je vais donc essayer de trouver d’autres mots pour faire mieux comprendre le sens qu’a pour moi la nouvelle mentalité.
Le premier qui me vient à l’esprit est celui de MENTALITÉ NON OPPOSITIONNELLE, c’est-à-dire celle qui refuse toute prise de position qui impliquerait une opposition à la position contraire. On pourrait dire également que c’est une façon de penser non dualiste, non binaire, non manichéenne, que c’est une propension à rechercher en toutes choses un accord harmonieux, à aplanir les contradictions, à sortir des antinomies. Mais attention! Il ne s’agit pas forcément d’un compromis mais plutôt d’un dépassement des antagonismes. Ce n’est pas non plus une simple synthèse entre une thèse et une antithèse, mais plutôt la découverte d’un espace qui serait au-delà d’une confrontation qui pourrait apparaître, de prime abord, irréductible.
Ainsi conçue, la nouvelle mentalité sous-entend une rupture avec la routine, les partis pris et les stéréotypes du passé. Elle est donc par excellence créatrice.
Ceci dit, jetons maintenant un coup d’oeil sur ce qu’a été – et ce qu’est, hélas, encore souvent – la mentalité ancienne. C’est, selon toute évidence, une mentalité oppositionnelle, une propension à être toujours « contre » quelqu’un ou quelque chose, à s’opposer, à lutter, à combattre. On sait que tout le long des siècles, cette mentalité a suscité l’hostilité, la violence, les conflits et les guerres et l’on est bien obligé de convenir que l’on n’en est pas encore entièrement sorti. Seulement voilà : cette mentalité, que l’on pourrait qualifier d’ancestrale, est devenue absolument incompatible avec les impératifs du monde moderne. Les pollutions consécutives aux progrès techniques et la puissance déchaînée de l’atome nous obligent maintenant à repenser notre façon de vivre et à envisager les relations humaines sous un tout autre angle.
Nous devons apprendre à nous affirmer autrement qu’en nous opposant constamment les uns aux autres.
Nous devons être prêts à admettre que les apparentes contradictions révèlent souvent des points de vue qui se complètent.
Nous devons nous rendre compte de tout ce qu’il y a d’arbitraire et d’injustifié dans l’opposition de certaines notions, telles que le coeur et la raison, le matériel et le spirituel, l’instinct et l’intellect, l’égoïsme et l’altruisme, le libéralisme et le socialisme, la nature et la technique, le patriotisme et l’internationalisme, etc. N’est-il pas, en effet, évident qu’entre toutes ces notions que l’on s’obstine à opposer il y a, en fait, la même complémentarité qu’entre l’homme et la femme, entre la main droite et la main gauche ?
Nous devons enfin cesser de séparer les hommes en « bons » et en « mauvais », en ceux qui appartiennent à notre groupe et ceux qui n’y appartiennent pas, en ceux qui possèdent « la Vérité » (ce sont généralement nous) et ceux qui sont dans l’erreur (ce sont généralement les autres). Toutes ces divisions ne correspondent nullement à la réalité. Ce ne sont que des vues de l’esprit, des constructions mentales.
Les êtres humains sont, certes, très divers mais en même temps tous semblables. De sorte que leur diversité est parfaitement compatible avec leur profonde unité. L’Histoire a, en effet, démontré que lorsque les hostilités cessent, les ennemis d’hier peuvent très bien vivre ensemble et collaborer. Ce qui est susceptible de les unir est toujours bien plus important et plus attrayant que ce qui les séparait. Il existe d’ailleurs à ce sujet un excellent dicton : « les murs qui séparent les hommes ne montent pas jusqu’au ciel ». Autrement dit, il suffit d’atteindre une certaine hauteur, de s’élever au-dessus de toutes les mesquineries et rancunes pour que les murs qui séparent et limitent les hommes disparaissent comme par enchantement. Et c’est justement cet envol de la pensée au-dessus de toutes les cloisons et contradictions qui caractérisent le mieux la nouvelle mentalité. A l’heure actuelle, nous en avons absolument besoin pour résoudre d’une façon pacifique les problèmes et les conflits qui nous assaillent. Il s’agit, en fait, d’une « pérestroïka » dans nos esprits et je terminerai en disant que ce n’est pas seulement le facteur principal de tout progrès social mais, en même temps, la condition sine qua non de notre survie en tant qu’espèce.
Note :
1) Cet article est la traduction, à peine remaniée, d’un texte que j’avais rédigé en russe et qui était destiné à être lu à l’ouverture d’une Conférance Internationale sur l’Environnement prévue à Moscou pour la fin du mois d’octobre., J’avais choisi le thème de la « nouvelle mentalité » étant donné qu’en Union Soviétique, on discute en ce moment énormément sur le « novoïé mychlenié » (une nouvelle façon de penser) et que c’est même le thème favori de Mikhaïl Gorbatchev et la pierre angulaire de la « perestroïka ».
Source : Le Nouvel Humanisme – Année 1989