Par Corinne Viggiano.
En privilégiant la dimension collective de l’existence dans son aspect utilitaire, formel et technique, au détriment de la dimension universelle qui touche au domaine de l’esprit, de la créativité et de l’intuition, on est en train de détruire l’esprit individuel de l’homme et, avec lui, le sens même de l’existence et la légitimité de toute organisation sociale.
Par un tour de passe-passe insidieux, l’homme se retrouve complètement soumis aux diktats du collectif et perd sa valeur en tant qu’individu, donc sa liberté essentielle. Passant de l’obscurantisme religieux à l’obscurantisme matérialiste (droits, progrès et bonheur), l’homme occidental n’est pas plus libre qu’avant, il a simplement changé de maître, mais cette fois rien ne lui indique plus le chemin de sa libération : le sens qu’il recherche désespérément dans une existence routinière qui sombre dans la violence de l’absurde n’est pas dans une vague morale sociale, ce nouveau credo des bien-pensants qui ne repose sur aucune réelle ouverture d’esprit, mais sur une fâcheuse tendance à rejeter tout ce qui est différent.
Le sens est dans la liberté de l’esprit, dans le for intérieur de chacun, dans l’espace inviolable de la conscience individuelle. Pour illustrer mon propos, voici un passage de John Steinbeck tiré de son livre « A l’est d’Eden » :
«Notre espèce est la seule créatrice et elle ne dispose que d’une seule faculté créatrice : l’esprit individuel de l’homme. Deux hommes n’ont jamais rien créé. Il n’existe pas de collaboration efficace en musique, en poésie, en mathématiques, en philosophie. C’est seulement après qu’ait eu lieu le miracle de la création que le groupe peut l’exploiter. Le groupe n’invente jamais rien. Le bien le plus précieux est le cerveau isolé de l’homme.
Or, aujourd’hui, le concept du groupe entouré de ses gendarmes entame une guerre d’extermination contre ce bien précieux: le cerveau de l’homme. En le méprisant, en l’affamant, en le réprimant, en le canalisant, en l’écrasant sous les coups de marteau de la vie moderne, on traque, on condamne, on émousse, on drogue l’esprit libre et vagabond. Il semble que notre espèce ait choisi le triste chemin du suicide.
Voici ce que je crois : l’esprit libre et curieux de l’homme est ce qui a le plus de prix au monde. Et voici pourquoi je me battrai : la liberté pour l’esprit de prendre quelque direction qui lui plaise. Et voici contre quoi me battrai : toute idée, religion ou gouvernement qui limite ou détruit la notion d’individualité. Tel que je suis, telle est ma position. Je comprends pourquoi un système conçu dans un gabarit et pour le respect du gabarit se doit d’éliminer la liberté d’esprit, car c’est elle seule qui, par l’analyse, peut détruire le système. Oui je comprends cela et je le hais, et je me battrai pour préserver la seule chose qui nous mette au- dessus des bêtes qui ne créent pas. Si la grâce ne peut plus embraser l’homme, nous sommes perdus. »
L’organisation sociale n’est qu’un moule dans lequel la faculté créatrice de l’homme s’exerce. Pour pérenniser le moule, on a besoin de sens pratique, pour le transformer ou le changer, on a besoin de l’esprit créatif. C’est à la force individuelle de renouveler le collectif et non au collectif d’emprisonner les forces vives de l’individu dans un formalisme vidé de sens.
Source : https://www.vivrelibre.net – Octobre 2017