par Jacques Languirand
« L’enfer, c’est les autres… » ? Non, j’ai envie de dire : « La Voie, c’est… les autres » Nous assistons, Mesdames et Messieurs, à un changement de paradigme.
Plusieurs études récentes font état des effets bénéfiques de l’altruisme : les personnes qui s’emploient à rendre service aux autres, par exemple dans les organisations communautaires, sont en général moins sujettes à la maladie et vivraient plus vieilles… et plus heureuses.
Pourquoi ? Tout simplement parce que l’être humain est un animal social.
Il faut sans doute partir d’un fait aussi simple pour comprendre jusqu’à quel point la qualité de nos rapports avec les autres, de notre contribution personnelle à l’interaction au plan social, est déterminante pour l’estime de soi.
Comme il est juste de dire que nous sommes dépendants les uns des autres au plan économique – dépendance qui devient de plus en plus évidente au fur et à mesure que se développe la conscience planétaire – il est tout aussi évident que cette interdépendance s’étend à tous les plans. Il apparaît même que si ce sentiment d’interdépendance se traduit d’une façon positive par un engagement au plan social, que ce soit à travers une activité communautaire ou encore une relation d’aide et de soutien aux autres, cette démarche aura sur l’individu des effets bénéfiques sur sa santé, physique et psychique.
Un tel retournement des mentalités représente un retour quelque peu surprenant du balancier. Rappelez-vous de cette génération qu’on a même définie comme la me génération, pour laquelle les autres comptaient assez peu, chacun étant surtout, au mieux, préoccupé de son propre développement et, au pire, de la contemplation de son nombril.
La société, que les Anciens appelaient la Cité, réclamait un engagement sans équivoque de la part du guerrier traditionnel, comme aujourd’hui de l’homme et de la femme d’action. Tel était l’engagement que préconisaient les Stoïciens : accepter ce qui ne peut être changé, soit; mais changer ce qui peut l’être par son action. « Reprends ce raisonnement, disait Marc-Aurèle : les vivants raisonnables sont nés les uns pour les autres… »
Il me semble que cet appel s’adresse aujourd’hui plus spécialement aux baby-boomers qui, après s’être définis en fonction du moi, ce qui devait entraîner un renforcement souhaitable de l’ego menacé d’éclatement dans le contexte d’une société elle-même éclatée, doivent maintenant considérer une véritable réimplication sociale.
On trouve du reste, dans tous les grands mythes, l’archétype d’une démarche du héros au service des autres. Comme le fait remarquer Joseph Campbell, le grand mythologue américain dont l’influence s’étend de plus en plus depuis peu, lorsque le héros est parvenu à l’étape de sa quête qui lui apparaissait comme ultime, alors qu’il a enfin touché le but et qu’il s’est identifié à la Conscience, il se trouve pourtant devant une alternative : il doit alors choisir entre demeurer au sommet de l’expérience ou revenir vers les autres pour les servir et les guider. Tel fut à un moment l’alternative qui s’est imposée au Bouddha qui a choisi, comme tous les grands Maîtres, de revenir vers les autres. Car l’objet ultime, en fait, n’est pas la libération, pas plus que l’extase, mais de trouver dans la sagesse qui en découle le courage de servir les autres.
A la lumière de ce qui précède, je suggère comme exercice de considérer la prospérité sous un angle différent.
Il pourra peut-être sembler surprenant que je parle de prospérité à propos du service aux autres. C’est bien pourtant dans ce sens que nous devons aussi aborder la question. De même, on doit mettre la prospérité au service des autres. Car il s’agit d’être prospère non seulement pour soi, je n’hésite pas à vous encourager à l’être ou à le devenir, mais de vous considérer aussi comme un canal de prospérité pour les autres.
La prospérité m’apparaît comme une forme d’énergie qu’il faut s’employer à canaliser vers soi pour en jouir, pour alimenter sa joie de vivre, pour ensuite la canaliser vers tes autres, la société, le monde entier.
Comme toutes les formes d’énergie, il faut considérer la prospérité comme une force que nous devons, en alchimistes inspirés et prudents, utiliser avec discernement.
Je m’adresse ici à des gens d’action qui pour la plupart ont le don précieux de créer de la prospérité. Mais comme tous les dons, on doit en user avec sagesse, non pas qu’il faille se retenir d’en créer pour soi mais de veiller à ne pas en créer que pour soi. Tout est là.
Source : Le Guide Ressources, Vol. 04, N° 04
NDLR : L’estime de Soi, telle qu’elle est approchée dans ce texte, est vue par Vivre Libre comme une expression de l’amour propre qui exprime notre attachement au Moi et sert le paraitre (voir « Le sens de l’existence », texte 7). Pour Vivre Libre, ce n’est que lorsque le Moi devient un canal d’expression pour le Soi universel-commun que l’action humaine est désintéressée, sert l’Unité du Tout, et que l’Homme réalise la solidarité universelle-naturelle (voir « Le sens de l’existence », texte 12).