Par Gilbert Frey
L’homme économique moderne est devenu totalement incapable de penser autrement qu’en mode quantitatif, numérique. Seul le monde extérieur : la direction uniquement « horizontale » de l’investigation du réel relatif, peut encore déclencher quelque réaction dans les cervelles actuelles. L’autre porte, le réservoir sans fond des sources subjectives, absolues, éternelles et non conditionnées par le « prêt-à-penser » de l’ordre du jour, est obstrué et devenu totalement inaccessible, ignoré, inconnu des êtres de notre temps.
La principale raison à cela, celle qui prime sur toutes les autres, c’est que précisément, la faculté de franchir cette porte essentielle de la vie intérieure ne peut s’acquérir que dans le silence ! … dans l’état de repos, loin de toute sollicitation des sens ! … Les archétypes anthropomorphisés de toutes les confessions officielles du passé donnaient, en termes voilés, la clé de ce paradis-là… Et si le grand arcane, dans sa simplicité si profonde a été occulté, c’est, justement, dans le but inavouable, l’intention scélérate d’empêcher tous les êtres d’y avoir accès…
Le silence, le calme, la limpidité d’esprit confèrent la liberté aux hommes.
[…] Il faut éviter que l’individu, l’entité consciente, descende en elle-même, y trouve, au-delà des bobards grotesques qui lui sont balancés, le bon sens, la logique, la justice, la vérité !
Ce n’est pas pour autre chose, déjà, que Socrate a été condamné : il avait révélé la vérité au peuple ! … Dans les cultures anciennes, les méthodes étaient autres, mais les fins toujours les mêmes, bien que moins délétères pour le psychisme humain. On ne faisait pas de bruit : pas de média avec leur lancinante et tonitruante jactance ! Pas de musique dans les magasins « Monoprix »… On ne dispensait pas le sexe par tous les orifices des cinq sens… ! On apprenait, certes, à plier le genou devant les représentants de la domination avouée et visible : « Dieu », son « fils unique », la sainte Église, et le Seigneur tout-puissant.
De nos jours, c’est la domination CACHÉE ! Bien enveloppée dans le papier de soie de la flagornerie démagogique grotesque ! Mais, aujourd’hui comme hier, on se garde toujours bien d’en dire un peu plus long sur les possibilités infinies que recèle l’âme humaine pour sa libération. Tout système collectif officiel est, et n’a jamais été, que l’instrument des castes, des oligarchies au pouvoir. Jadis la noblesse, maintenant la veule bourgeoisie ! C’est pourquoi : religieuse sous l’ancien régime, matérialiste, corruptrice et mercantile, sous l’hypocrite et répugnante bourgeoisie, c’est toujours, l’infâme domination de la majorité par les castes ! Il en est ainsi depuis que l’homme exploite l’homme ! Les méthodes, les sujets, les stratagèmes, les artifices varient et se transforment avec l’histoire, les astuces des dominants.
La connaissance qui croît de l’intérieur confère une certitude qui donne la liberté. Et l’homme intérieurement libre n’est plus guère exploitable. C’est bien la raison pour laquelle, il faut l’empêcher de penser, d’être lui-même, de réfléchir vraiment !
Alors, après les mythes religieux terrorisants des dominants d’antan, la peste marchande moderne utilise le vacarme ! VACARME ! Sous toutes ses formes : « idéologique », « séculier », « éthique », si l’on peut se permettre semblables transpositions de langage… En conséquence, l’énorme TINTAMARRE ! (grand bruit accompagné de désordre…) dans lequel s’écoule la vie de nos contemporains, les prive chaque jour un peu plus de leur plus élémentaire bon sens, de la plus naturelle clairvoyance, mais, surtout du plus banal DISCERNEMENT !
Il est positivement effarant, désolant, mais surtout profondément bouleversant, inquiétant, de constater à quel point les masses médiatisées, bernées, abusées, acceptent, de plus en plus, sans broncher d’un iota, les vessies que les meneurs leurs balancent au rythme des lanternes… L’homme moderne, constamment maintenu sous tension affective par une verbocratie fumeuse et bien orchestrée, sollicité de partout, de façon souvent contradictoire, par le grand carnaval qui se déroule sous ses yeux, a perdu les premiers rudiments même de son sens critique.
Le vacarme a fait de lui un Zombie et une larve !
Source : L’Homme Libre, n°127, Avril – Mai – Juin 1991