Par Diane Combes, professeur des écoles en maternelle
Enseignante en maternelle depuis une quinzaine d’années, après avoir exercé en élémentaire, j’ai l’opportunité d’observer au quotidien l’impact sur les parents et les élèves d’un nouveau cadre éducatif issu essentiellement des neurosciences, de la psychologie positive1 et de la communication non violente2, appelé « éducation positive ».
Faisant suite à l’autoritarisme mutilant de l’éducation traditionnelle qui imposait sans délicatesse les règles de comportement, et suite au laxisme post 68 qui a fait de l’enfant-roi le tyran de ses parents, on a vu naître les principes de la parentalité positive. L’intention salutaire de ce nouveau courant est de donner la priorité à la qualité des relations instaurées dans la famille, à la prise en compte des désirs et des besoins de l’enfant et au cadre bienveillant.
Sur le terrain, j’ai vu évoluer de façon nettement positive les relations entre les parents et leurs enfants. Cependant, je constate que l’application sans discernement de certains principes nourrit plus l’égocentrisme et la dépendance qu’elle ne fait naître l’autonomie et la responsabilité. La confusion règne entre les besoins de l’être en développement et ses désirs chimériques, entre la dignité du jeune être humain et son illusion de toute- puissance, entre la conscience qui touche à l’Universel et la personnalité qui s’adapte au monde…
L’éducation « positive », tout comme la société dont elle est issue, ignore l’ouverture à la dimension intérieure, spirituelle3, chez l’enfant, qui est pourtant fondamentale pour que celui-ci grandisse de façon équilibrée, avec toutes les composantes de son être. Mettre les désirs et les volontés de l’enfant au centre de toutes les attentions en négligeant les besoins de son âme conduit à de nouvelles dérives.
Pour commencer, je vois de nombreux parents qui, cherchant à satisfaire tous les désirs de l’enfant pouvant s’exprimer dans le quotidien, lui permettent de devenir le maître de la vie familiale en développant la dangereuse illusion de sa toute puissance. Le chérubin choisit comment s’habiller, le menu des repas ; il décide de rester ou non à la garderie après l’école ou du temps passé au parc ; il détermine le programme télé et l’heure à laquelle il consent à aller se coucher… Sans apprendre à distinguer les désirs passagers basés sur la fantaisie et l’humeur de ses véritables besoins, sans apprendre à tenir compte des autres, l’enfant épuise son entourage et se perd dans le flot de ses volontés changeantes, parfois contradictoires et surtout égotiques.
Par la suite, quand les circonstances ne permettent plus de satisfaire ses quatre volontés ou quand son comportement devient socialement inadapté, je remarque le plus souvent que les parents se mettent à lui prodiguer des explications sans fin dans l’espoir de le persuader de changer d’attitude. Mais, dans la plupart des cas, l’enfant ne comprend pas ces raisons d’adultes qui l’envahissent et le laissent généralement mutique et impuissant.
Quand la surprotection face aux aléas de la vie vient s’ajouter à une éducation qui n’oppose par principe aucun obstacle, l’enfant devient craintif et fragile, non préparé à la « vraie vie ». Pour ma part, afin que l’enfant prenne confiance en lui, je préfère l’éveiller à ses ressources intérieures en lui permettant de faire lui-même, en accord avec ses vrais besoins, des choix éclairés.
Respecter la libre évolution des enfants selon leur développement naturel nécessite de les éveiller en même temps à la voix de leur conscience ; cela ne signifie en aucune manière tout leur laisser faire. Quand un enfant, dans un mouvement de colère, en vient à frapper son père ou sa mère – ce qui devient fréquent dans notre époque -, nous touchons à une extrémité qui appelle l’exigence de limites. Il est insensé dans ce cas précis d’appliquer le principe de l’éducation positive qui consiste à rassurer, à calmer par l’enveloppement affectif et la recherche d’explications. Être pris dans les bras et cajolé en cette circonstance, comme je l’ai vu faire, ne peut qu’être interprété par l’enfant comme une récompense de ses colères, de l’expression violente de ses frustrations ou de ses peurs… Cela engendre un grand trouble dans sa conscience alors qu’il a simplement besoin de l’autorité bienveillante, c’est-à-dire de la fermeté pour stopper ses débordements. En général, si personne ne l’arrête, l’enfant va de plus en plus mal, devient de plus en plus violent.
Mon expérience au contact des tout jeunes élèves me montre que ceux-ci ont besoin de repères clairs et de limites exprimées pour se sécuriser et se construire de manière équilibrée. Ils savent reconnaître l’autorité juste, et l’obéissance à celle-ci les prépare à l’écoute intérieure, cette aptitude qui leur ouvre le chemin de leur véritable autonomie.
Je terminerai avec l’importance quasi sacrée que l’on accorde aujourd’hui aux émotions. Le traitement de celles-ci fait l’objet d’une véritable éducation dans les familles et à l’école. On apprend aux enfants à identifier, nommer, voire même expliquer leurs états d’âme ; tant et si bien qu’il n’est pas rare de voir un enfant subissant une perturbation quelconque exprimer qu’il ressent de la peur, de la colère, de la tristesse ou de la joie comme s’il récitait une leçon apprise par cœur. Cet énoncé peut même être en complet décalage par rapport à ce qu’il vit réellement. J’ai vu un jour une petite fille à qui je refusai d’accéder à son désir d’obliger son frère à jouer avec elle pendant la récréation, s’immobiliser au milieu de la cour, à deux pas de son frère et crier : « J’ai peur ! J’ai peur ! ». J’ai choisi de ne pas l’écouter et de la mettre à l’écart ; au bout de quelques minutes, elle m’a dit : « Ça y est, c’est fini ! »
Une pratique irréaliste consiste à attendre d’un jeune enfant qu’il s’étudie et s’explique en lui demandant de dire pourquoi il vit telle ou telle émotion. Pour lui, cela revient à chercher une justification à son comportement, quel qu’il soit ! Sans capacité d’analyse, sans connaissance des tendances inconscientes qui sous-tendent les réactions émotionnelles, cela le conduit immanquablement à se complaire dans ses émotions, voire à s’y perdre. J’ai remarqué, lorsqu’on cajole un petit pris dans ses émotions, que le processus de libération qui mène à l’apaisement a tendance à s’éterniser tandis que si je l’encourage à faire silence et à se recentrer – en l’accompagnant dans un mouvement d’intériorisation au niveau du cœur –, le trouble émotif fond comme neige au soleil, l’enfant retrouve en quelques instants son équilibre, sa paix et sa joie de vivre.
Sans exercer une autorité blessante tout en travaillant à l’autonomie de l’enfant, j’encourage celui-ci à se référer à sa propre conscience, c’est-à-dire à sentir en son cœur ce qu’il a à dire ou à faire et si c’est le moment. J’observe que chez les enfants la réponse juste fuse naturellement. Ils découvrent ainsi qu’ils sont porteurs d’une Autorité intérieure, celle de la Vie en soi, qui peut les guider dans leur existence. Ils constatent que s’ils écoutent cette voix intuitive, leurs parents n’ont plus besoin d’intervenir à tout bout de champ et qu’il est finalement plus facile d’obéir à soi-même que de céder à des injonctions extérieures.
Quand chacun, parent, enseignant ou enfant, est laissé libre d’écouter sa conscience et de vivre en accord avec celle-ci, tout en assumant les responsabilités liées à son âge, il en découle la paix dans les relations en famille ou en classe d’abord et par ricochet dans l’environnement social.
En nous libérant de nos peurs et de nos insécurités pour retrouver la confiance en notre sensibilité et notre intuition, nous quitterons nos dépendances vis-à-vis des théories diverses et changeantes qui ne font qu’imposer un filtre entre notre perception et le réel. Les enfants nous sont confiés par la Vie et nous avons naturellement la capacité de les élever de manière équilibrée et vraiment positive. Si l’on prête attention, au centre de notre être, à la voix intuitive de notre conscience, les réponses à nos questionnements jaillissent pour nous guider. Et en prenant confiance en cette voix, au lieu de transmettre notre anxiété aux enfants, nous les ouvrirons à leur propre référence intérieure. Le respect de l’Autorité en soi est la base de l’équilibre individuel et de l’harmonie de la société que les prochaines générations auront à recréer.
Notes :
(1) Fondée en 1998 par Martin E. P. Seligman, chercheur en psychologie, la psychologie positive est « l’étude des conditions et processus qui contribuent à l’épanouissement ou au fonctionnement optimal des gens, des groupes et des institutions. ». Réf. https://www.psychologies.com/Therapies/Toutes-les-therapies/Psychotherapies/Articles-et-Dossiers/Qu-est-ce-que-la-psychologie-positive
(2) Présentation des principes de la communication non violente par le mouvement Colibris : https://www.colibris-lemouvement.org/passer-a-laction/creer-son-projet/utiliser-communication-non-violente-dans-un-groupe
(3) La dimension spirituelle, ou la conscience profonde, est indépendante de toutes les religions.
Source : https://www.vivrelibre.net – Juin 2020