Par Louis Leprince-Ringuet.
Pour vivre librement, il ne suffit pas de disposer de la possibilité d’être libre.
Tout un apprentissage est nécessaire, qui ne s’arrête pas au sortir de l’école. On le voit bien : que de gens, parmi nous, sont en réalité des esclaves ! Esclaves de leurs désirs, de leurs petites habitudes, voire de leurs manies, esclaves de leur égocentrisme, de leurs pulsions, de leurs routines, de leur arrivisme; enfin, pour beaucoup, esclaves de l’argent. Que de vedettes, d’hommes politiques sont attachés au désir de paraître : sans leur dose de flashes quotidiens, ils sont tristes, affectés et leur comportement s’en ressent. Combien d’entre nous cherchent à gagner toujours plus d’argent !
Nous risquons tous d’être habités par des tyrans dont nous devons absolument nous libérer.
Il nous faut réfléchir souvent, nous réserver des moments de retraite, d’écoute silencieuse, de prière pour les croyants, si nous voulons ne pas être asservis. Nous avons besoin pour cela de caractère et de courage, nous, éternels apprentis de la liberté : savoir prendre nos responsabilités, vivre sans nous cacher des réalités, sans rejeter sur les autres ce que nous devons nous-mêmes décider, sans vouloir à tout prix faire intervenir circonstances et fatalités, sans tricher, sans avoir peur de nous compromettre et sans nous mentir à nous-mêmes.
Hélas ! bien peu de gens acceptent, surtout lorsque l’âge cristallise les habitudes et installe confortablement les tyrans intérieurs, cette constante réflexion, cette ascèse génératrice d’une vraie libération, d’une quotidienne résurrection, à laquelle nous devrions tous consacrer un moment privilégié, chaque jour de notre vie.
Source : Extrait de « Le grand merdier ou l’espoir pour demain ? », Louis Leprince-Ringuet, 1979.