par André Monjardet
Ce que n’avait pas réussi à faire le monothéisme religieux, conquérir le monde, le monothéisme profane est en train de le réaliser.
Le dieu argent régente aujourd’hui le monde entier et tient sous son implacable férule la quasi-totalité des êtres humains. Ses grands prêtres dictent leur loi à l’ensemble des nations. Ils en ont eux-mêmes inventé les termes et s’appliquent à faire en sorte qu’ils soient respectés partout. Sous peine d’exclusion de la communauté humaine, nationale et mondiale.
« loi du Marché » repose essentiellement sur le droit du plus fort d’écraser le plus faible. Ne pas s’y soumettre ou la transgresser équivaut à s’isoler de la société et se voir condamner par elle.
C’est ainsi, par exemple, que tout service doit aujourd’hui passer par le moule de la monétarisation sous peine d’être jugé et condamné par les tribunaux pour concurrence déloyale. La gratuité est partout suspecte !
Cette « loi du Marché » n’est en réalité que la traduction policée de la « loi de la jungle ». Mais avec une différence de taille : celui qui ne veut pas tuer et voudrait simplement vivre en paix avec lui-même et avec les autres ne peut pas fuir. Il est cerné de tous côtés par la monnaie et se voit obligé de passer sous les fourches caudines de la production ou de l’assistanat. Nouvel esclave de la course au profit, il est prisonnier de l’arène mondiale où se joue le drame de « l’horreur économique ». Le plus souvent il s’y fait dévorer, très rarement il s’en échappe.
C’est que le rapport de forces est inégal.
D’un côté, il y a la puissance anonyme et aveugle qui décide souverainement en fonction de critères de rentabilité exclusivement capitalistiques, économiques et de plus en plus seulement financiers. De l’autre, il y a des êtres de chair et de sang qui subissent.
Quelle est l’attitude des croyants face à une telle situation ? Devant l’urgence d’une situation qui voit depuis quelques années s’accélérer la destruction de la planète et la dégradation des conditions d’existence d’une grande majorité des êtres humains, au Nord comme au Sud, on peut s’interroger sur le sens des combats que mènent encore certains croyants au sein de leurs religions respectives. Ils disent vouloir de rendre celles-ci plus conformes à leurs origines, plus ouvertes au monde moderne pour les uns, plus respectueuses des traditions pour les autres.
Or si par exemple, pour les chrétiens l’amour du prochain doit constituer l’alpha et l’oméga de leur religion, on ne voit pas très bien en quoi la réforme ou au contraire la consolidation d’institutions ecclésiastiques soient très utiles pour mener à bien cette révolution mondiale de l’amour dont ils se disent les éternels messagers.
En fait, c’est toujours à cause de divergences intellectuelles, doctrinales ou disciplinaires entre clercs que sont nés les conflits ou les incompréhensions entre les croyants.
Que par ailleurs les différentes religions, nées au fil des siècles dans différents pays, soient entrées en concurrence en venant au contact les unes des autres, que des scissions et des séparations aient pu se former au sein d’une même religion, on peut le comprendre en des époques où ne s’était pas encore pleinement révélé à la conscience des hommes le fait d’appartenir à une même humanité confrontée à une seule et même angoissante question : quel avenir demain pour l’Homme sur la terre ? Mais ces oppositions ont-elles encore un sens au sein du village planétaire qu’est devenue la Terre ?
Oui, c’est peu dire que le monde a besoin d’un sursaut spirituel et que les êtres humains sont assoiffés de « sens ». Mais dans une monde où la mondialisation d’une pensée unique a enfermé les hommes dans le cercle vicieux d’une économie entièrement dévouée au Dieu Argent, ce nouveau Dieu unique auquel tout un chacun doit se soumettre, on peut légitimement se demander si la première urgence pour les croyants de toutes les religions n’est pas d’abord de s’unir par-delà leurs Eglises en vue de créer un sursaut mondial face à un libéralisme matérialiste croissant qui envahit le monde et écrase les hommes.
Tous les fondateurs de toutes les religions n’eurent-ils pas une commune ambition : promouvoir l’amour universel et faire en sorte que cet amour soit d’abord vécu personnellement par chacun ? Car, comment changer le monde sans commencer par changer soi-même. De fait, tous les fondateurs de toutes les religions, Bouddha comme Jésus, ont mis personnellement en pratique ce qu’ils enseignaient. Ils faisaient ce qu’ils disaient.
Quant aux différentes voies conseillées pour arriver à vivre cet amour, elles purent varier d’une culture à l’autre, d’une tradition à l’autre, d’un engouement à l’autre. Mais chacune a toujours impliqué un engagement personnel concret, les diverses croyances, rites, dogmes, rituels n’étant là que pour inciter le croyant à mieux mettre en œuvre l’altruisme par la tolérance, l’entraide, la paix…
C’est dire que toutes les religions ont poursuivi théoriquement un seul et même but, qu’on le nomme fraternité, compassion ou amour universel. On sait malheureusement que, pour l’atteindre, les institutions religieuses ont été loin de compte ! Combien d’hommes et de femmes ont été massacrés au nom de la divinité !… Et combien n’ont vu dans la religion qu’un remède à leurs angoisses et qu’un moyen d’évasion de leurs responsabilités !
Encore aujourd’hui, forts de leurs certitudes et jaloux de leurs pouvoirs, les hiérarques de toute obédience religieuse s’estiment les seuls garants authentiques et les gardiens patentés de convictions présentées par eux comme les seules vraies réponses aux éternelles questions des hommes. Ils n’en dénonceront que plus vigoureusement le dangereux syncrétisme qui ferait écho à tout appel lancé par-dessus leurs têtes en vue d’instituer le mouvement de solidarité universelle dont le monde a aujourd’hui besoin. Plus probablement, ils ne manqueront pas de railler le caractère utopique d’une entreprise qui impliquerait leur disparition.
« Une conviction religieuse ne peut vivre sans un « contenu intellectuel » ni sans une « communauté de croyants », diront-ils. La foi n’est pas pur altruisme, elle ne se réduit pas un vague sentiment laissé à l’initiative de chaque individu. Elle doit être structurée socialement et intellectuellement » diront les clercs de toutes les religions.
On peut seulement se demander si le « contenu intellectuel » et la « communauté de croyants », tels qu’ils se présentent encore actuellement dans les religions, ont aujourd’hui quelque impact dans la construction d’un monde plus fraternel et plus juste. Quel est en effet aujourd’hui le « contenu intellectuel » de l’amour universel, quelle forme prend-elle concrètement, socialement, politiquement ? Quelle est la « communauté de croyants » qu’attendent les hommes pour retrouver l’espérance ?
Ne serait-ce pas l’analyse lucide et rationnelle de l’état actuel de la planète et des peuples qui l’habitent ? Ne serait-ce pas le rassemblement structuré de ceux qui, devant les conclusions de cette analyse, se décideraient à inverser l’actuel courant d’une pensée unique meurtrière et aveugle ? Ne serait-ce pas la croyance en l’Homme ?
Pour la « plus grande gloire de Dieu » ?! – Oui, pourquoi pas, si cela peut faire plaisir à ceux qui croient en Dieu ! A condition de se rappeler que la « plus grande gloire de Dieu, c’est que l’homme vive » !
N’est-il pas grand temps pour tous les croyants, ceux qui croient en Dieu et ceux qui croient tout simplement en l’Homme, de quitter leurs chapelles et leurs certitudes doctrinale ?
Une telle révolution ne peut pas venir des clercs, eux qui ont fait de la religion leur fonds de commerce et leur moyen de subsistance. Que tous les laïcs de toutes les religions sortent enfin des sentiers battus de leurs institutions moribondes ! Qu’ils prennent le large et inventent cette nouvelle religion de l’Homme, celle dont l’humanité a aujourd’hui besoin, celle de la fraternité universelle ! Qu’ils laissent les morts enterrer les morts ! « On ne met pas du vin nouveau dans de vieilles outres ! »
Les religions surnaturalistes ont sans doute constitué des étapes dans l’histoire de l’humanité vers l’âge adulte, l’âge de la rencontre, du partage et du don. Elles sont devenues aujourd’hui des obstacles à l’édification d’une humanité plus responsable et plus solidaire.
Sans illusion ! Car d’une part, on sait que le changement commence d’abord en chacun de ses acteurs. Et d’autre part, ces nouveaux croyants de cette nouvelle « religion de l’Homme » construiront sans doute à leur tour de nouvelles institutions dont de nouveaux clercs seront de nouveau tentés de dire à tous le vrai de tout… Mais peut-être feront-ils au moins franchir à l’humanité une nouvelle étape sur la voie de la réconciliation entre le spirituel et le politique, entre l’esprit et la matière, entre le dire et le faire, entre le vivant et son environnement naturel et… lui éviteront-ils de s’anéantir !
L’humanité est en devenir.
Pour la première fois de son histoire, elle se trouve affrontée au gigantesque défi de sa propre survie.
Dépassant les clivages religieux d’un autre âge, n’est-il pas temps pour tous « les hommes de bonne volonté » d’unir leurs efforts pour inverser la course mortelle dans laquelle l’a jeté la nouvelle religion de l’Argent ?
Publié le 25 septembre 2005
NDLR : Pour Vivre Libre, la réconciliation entre le spirituel et le politique, entre l’esprit et la matière, ne peut se réaliser qu’en chaque individu par l’éveil à l’Intelligence du cœur. C’est ainsi que l’ensemble de l’humanité sera en harmonie avec l’Autorité de la Vie, et que la domination de l’Homme sur l’Homme prendra fin.