Par Christiane Singer
Selon Jung, ce qui manque le plus dans notre siècle, c’est l’intensité. Notre époque est superficielle à l’extrême. Elle est terrifiante de violence, de cruauté et de dureté. Mais pire encore est l’insignifiance. Nous n’entrons plus dans la profondeur des choses. Tout est à consommer immédiatement puis à rejeter. Dès qu’il y a un silence, on le comble, on en a peur.
Nous sommes la première société qui ne sache pas ménager des espaces de silence, de retraite. Toute société, tout « contrat social » n’est, bien sûr, qu’une « hypothèse de travail ». Il faut dans la mesure du possible la respecter mais surtout ne pas l’ériger en loi naturelle !
L’essentiel de notre nature et de notre mission se situe au-delà du consensus social. Nous sommes des voyageurs d’éternité – et non pas seulement des citoyens et des électeurs !
Nous sommes appelés à tout instant et si nous n’entendons pas cette voix qui nous appelle, nous mourons étouffés. Nous sombrons dans la dépression et dans le désespoir parce que notre identité véritable nous échappe.
Nous sommes toujours occupés – comme on le dit d’un pays qui est occupé par une armée étrangère. La radio, la télévision bourdonnent sans arrêt à nos oreilles, nous dépossèdent de notre propre parole, remplissent sans cesse tout l’espace disponible, violent ce vide essentiel à notre devenir. Si nous ne défendons pas avec toute l’énergie dont nous sommes capables ces enclaves de silence et d’écoute, plus rien d’important ne pourra surgir ! Ces « réponses » toutes faites, cette idéologie insidieuse de profit, de cynisme et de compétition sèment la mort dans les cœurs des jeunes.
Il n’y a qu’un contrepoison efficace contre lequel toutes les puissances contemporaines s’allient et se conjurent – c’est le silence. Pour laisser à l’instant sa chance, il n’y a que le silence. Pour laisser sa chance à la rencontre, il faut entre les êtres un espace libéré, désencombré.
La communication ne nécessite pas un tas d’appareillages. C’est d’une trêve dont elle a besoin, d’un émerveillement partagé, fragile, ténu. Nos terres nourricières sont à l’abri des regards. Si un instant, nous considérons la richesse qui est en nous, tout en est changé, tout s’apaise mystérieusement. Or pour nous vendre tous ces substituts, ces prothèses et ces ersatz, il faut nous cacher à tout prix l’existence de ce royaume intérieur ! Pire encore : nous mettre en garde contre lui !
Bien sûr, la menace est grande car la révélation qui m’attend au fond de moi-même met, d’une certaine manière, tout le système économique en danger ! Nous avons en nous, non seulement tout ce qui est nécessaire à notre survie, mais même à la Vie, à la vraie Vie !
Source : Extrait de « L’urgence d’aimer », Éd. Claire vision, 1997.