par Marcel Renoulet
Ceux qui aiment la vraie vie, c’est-à-dire la grande vérité du silence tiennent compte de la mort. Le silence fait de la mort une amie fidèle, une précieuse conseillère, un repère lumineux qui nous fait traverser la vie avec dignité et joie.
Cette éloquence de la mort est celle de notre sérénité et de notre humour. Les idées qui jaillissent de la méditation silencieuse de la mort sont comme les arbres qui poussent au bord de l’eau. Ce sont de fortes pensées de plénitude qui surplombent les angoisses existentielles des philosophies et des sciences matérialistes et qui nous font intégrer l’instant présent : l’ultime réalité.
Intégrer la mort, c’est intégrer le temps puisque toutes les dimensions du temps se retrouvent dans l’instant présent. Ce qu’il y a de bien avec la mort, c’est qu’elle peut survenir à chaque instant… C’est notre compagne la plus fidèle, celle sur laquelle on peut toujours compter. Rien ne l’arrête : que l’on soit en pleine action ou dans le repos, que l’on ait le cœur en fête ou à pleurer, le dernier examen de conscience peut être demandé à tout moment.
La mort est présente partout. Pour se nourrir on tue des plantes, des animaux et on trouve que c’est tout à fait naturel. Lorsqu’il s’agit de la mort de l’homme, on se trouve désarmé, on n’avait pas imaginé qu’elle pouvait prendre ceux que l’on connaissait bien et encore moins soi-même.
Vivre en occultant la mort c’est oublier que l’on est soumis, comme les plantes et les animaux, aux lois de la terre. En naissant on est voué à mourir. Entre ces limites incontournables, la conscience de l’homme évolue à travers les expériences qui lui sont données vers une compréhension plus globale de la vie et d’elle-même.
En prenant conscience que la mort peut être à tout instant imminente, on prend du recul de façon naturelle, on relativise tous ses problèmes. On se découvre tel que l’on est réellement. On découvre dans la pleine présence de l’instant ce qui est immuable en soi : la Vie. La paix du cœur ainsi engendrée par cette libération consciente des attaches au monde donne le recul nécessaire pour agir de façon juste et équilibrée.
Regardons la mort comme une amie fidèle qui nous tire vers l’essentiel et nous donne une acuité accrue de l’instant présent. Osons être l’immuable que nous sommes.
La façon dont la majeure partie des hommes appréhende la mort demeure encore très étrange. Ils ont peur de mourir parce qu’ils craignent l’inconnu, parce qu’ils vont devoir laisser ce à quoi ils sont attachés, mais aussi parce qu’ils ont la sensation de ne pas avoir fait ce qu’il fallait, sans en connaître cependant la nature. Quelle est donc cette chose essentielle ? Etre libre de tout désir. La mort soumet irrémédiablement l’homme ; celui qui refuse la mort refuse, en fait, de se soumettre à la vie.
Ainsi, beaucoup de gens ne veulent pas encore mourir, sûrs qu’ils sont d’avoir quelque chose à faire, mais repoussant l’évidence de la mort, ils s’empêchent précisément de faire ce quelque chose. Manquant toujours de temps, ils ne manquent en réalité que de soumission à l’évidence, en quelque sorte, d’intelligence.
Dire que l’on ne pense pas à la mort, que l’on verra quand elle viendra où que l’on n’en a pas peur et que l’on veut vivre et profiter des choses le plus longtemps possible… sont autant de propos qui n’intègrent pas la mort dans la vie.
La pleine conscience des phénomènes engendre en effet un changement dans tout l’individu, dans son être intime et son comportement : la source de son action, il la puise dans la responsabilité et non dans le désir personnel. Quand l’homme reconnaît où se situe la limite, il rencontre l’illimité de la paix.
De tout temps et en tout lieu, les hommes ont inventé des instruments de mesure du temps d’une extrême précision. Du sablier aux horloges électroniques modernes et sophistiquées, de l’almanach, du cadran solaire à la montre à quartz, la durée de l’existence a été comptabilisée… Ce qui prouve bien que le temps, dans sa réalité profonde, est un élément de la conscience.
Si l’heure venue, la mort apparaît aux hommes comme une étrangère importune, c’est bien parce que le temps leur a toujours été un étranger importun et qu’habiter le temps, habiter son temps, n’a pas été fait.
Nous mourrons tous, mais nos dispositions vis-à-vis de la mort en font un choix de Vie ou de Mort.
Source : CONTACT 2014 « La fille de l’homme libre » – juillet-août-septembre 2014