Par Idriss Aberkane.
Extrait
Si nous produisons énormément de connaissance, nous produisons très peu de sagesse. Pire : nous idéalisons l’avancée technologique et ridiculisons la spiritualité et la sagesse, et nos avancées technologiques n’ont pas été rattrapées par celles de notre conscience. Nous sommes philosophiquement immatures, ce qui fait de notre civilisation un danger pour elle-même.
(…) Nous ne sommes quasiment plus responsables de notre pensée, et nous passons notre temps à vivre dans la pensée des autres, si bien que nos décisions sont rarement les nôtres. Notre désir de nous conformer au système est bien plus puissant que notre libre arbitre ; et même lorsque nous réussissons à faire taire notre chien de garde intérieur, c’est une masse bien plus hargneuse de conformistes qui se lève contre nous, fière d’appartenir au camp des bons élèves, et blâmant les mauvais, en espérant son morceau de sucre. L’humanité, au fond, n’a que peu changé depuis l’époque du pilori.
Mais ce qui est sûr, c’est que la sagesse n’est pas dans ses centres d’intérêt. Elle est inexistante, par exemple, dans notre système éducatif : la plupart des pays riches attendent en effet la dernière année de scolarité – qui n’est pas obligatoire, d’ailleurs – pour mentionner un peu de philosophie fossilisée, sur laquelle les élèves dissertent sans la pratiquer. On donne des cours d’histoire de la philosophie, mais en aucun cas on n’enseigne l’amour de la sagesse, sa quête inconditionnelle, indépendante du jugement d’autrui. Or, si notre civilisation n’enseigne pas la connaissance de soi, c’est justement parce que cette connaissance est subversive : le sage, en effet, c’est celui qui n’a besoin d’aucun système, qui marche hors de la caverne du conditionnement. Le sage, c’est celui qui, tel Diogène, lance à Alexandre : « Ecarte-toi de mon soleil ! », qui démontre que le système est inutile. Il n’est donc pas étonnant que le système nous enseigne à être démunis sans lui. Car le système, ce n’est que la somme des ego humains, et la philosophie, c’est la mort de l’ego, donc, à terme, la mort du système.
Le problème de la connaissance, c’est qu’elle a tendance à renforcer notre ego quand on l’acquiert. Sauf, bien sûr, si elle est connaissance de soi et sagesse. Or la sagesse nous enseigne naturellement qu’aucune production de l’humanité n’est plus grande que l’humanité elle-même, et qu’aucune ne mérite qu’on lui aliène l’humanité. Qu’il est étrange, alors, de voir comme notre civilisation rechigne à produire l’instrument de son propre dépassement – la sagesse – alors qu’elle produit avidement l’instrument de sa propre ruine – la science sans conscience -, glorifiant cette production comme la plus grande des vertus.
(…) Nous nous sommes déclarés « Homo sapiens sapiens », littéralement « homme sage, sage », ou encore sage parmi les sages. Tout Homo qui n’est pas sapiens est une aliénation. Alors ceux qui ont sacrifié leur humanité à autre chose que sapiens ont deux choix face à cette observation : la rejeter avec violence et défendre leur zone de confort, ou rejeter leur zone de confort et embrasser la vérité. Or on sait que l’humain préfère mille fois son abri à la vérité.
Sur le propos de ce livre donc, j’aime la simplicité, la clarté – et la grande sagesse – de Charlie Chaplin dans Le Dictateur, sagesse dont nous n’avons toujours rien appris, cancres d’ego en diable :
« Notre connaissance nous a rendu cyniques ; notre intelligence, durs et méchants. Nous pensons trop et ressentons trop peu. Plus que de machinerie, nous avons besoin d’humanité. Plus que d’intelligence, nous avons besoin de bonté et de douceur. »
Source : Libérez votre cerveau ! Traité de neurosagesse pour changer l’école et la société, 2017, Robert Laffont