Entretien avec Michel Faucheux, Maître de conférence en littérature à l’Institut national des sciences appliquées (Insa) de Lyon
L’homme se définit par son imperfection et ses limites, affirme l’universitaire. Pactiser avec une science toute-puissante afin de vaincre la mort, c’est risquer de nous perdre nous-mêmes.
Est-ce que le drame métaphysique de Faust — pactiser avec le diable en échange de l’éternité — se joue encore aujourd’hui ?
Oui, excepté qu’au XXIème siècle, ce n’est plus avec le diable que nous passons un pacte. mais avec une science devenue une puissance dont nous ne maîtrisons pas toujours les effets. Cette science ne se contente plus de transformer le monde, elle est poussée par certains à réinventer l’être humain — par la biologie, la génétique, la robotique… — voire à le dépasser — par l’intelligence artificielle. Pour échapper à un futur dangereux, il nous faut, à l’inverse de Faust, renoncer à ce pacte.
Les transhumanistes entendent pourtant utiliser la science afin de vaincre la mort…
C’est l’illustration du dévoiement le plus parfait ! Le transhumanisme tente de repousser indéfiniment les limites humaines. Il considère que les performances—y compris la durée de la vie — peuvent être améliorées par la convergence des technologies NBIC (1). Il est tentant d’accéder à une éternelle jeunesse par tous les moyens. La caractéristique du diable n’est-elle pas d’être séduisant ? Faust n’y résiste pas… et il provoque le malheur autour de lui. Certes, selon l’interprétation du philosophe Gaston Berger, il finit par être sauvé dans le Second Faust de Goethe parce qu’il met son savoir au service des autres. Il y a donc une espérance, malgré tout.
Quel risque courons-nous à céder à la tentation transhumaniste ?
Celui de menacer notre humanité. L’être humain se définit par son imperfection, ses limites. Par sa culture qui émerge lorsqu’il met en place sépultures et rites funéraires.
L’art, la philosophie, la culture racontent notre reconnaissance de la mort. La limite nous permet de nous créer nous-mêmes. La perfection, la vie indéfiniment prolongée que l’on nous propose — hypothétiquement —grâce à la science est inhumaine. Toute en durée mais sans intensité : quel ennui ! Certains parlent même déjà de « post » humanisme : il s’agirait d’abandonner l’humanité au profit d’une forme d’existence différente, numérique.
Pour débattre de ces évolutions, la question éthique du sens de la science doit être centrale dans les universités scientifiques et les écoles d’ingénieurs, dès le début du cursus.
Face à la tentation, comment être plus fort que Faust ?
Il est très difficile de produire un contre-discours face à l’idée d’une vie sans fin et sans souffrance, surtout dans nos sociétés du divertissement — au sens pascalien : s’oublier soi-même. Que la science et la médecine améliorent les conditions de vie, on ne peut que s’en féliciter. Pour autant, on ne doit pas tout faire au prétexte que la technique l’autorise. Constituons-nous plutôt une sagesse grâce à laquelle nous puissions dire oui à la mort. Acceptons notre condition d’êtres dans le temps, dans un processus de réalisation à l’échelle d’une vie. Pensons la science comme un projet d’humanité qui, loin de nous nier, soit une « co-naissance » qui nous permette de naître à nous-mêmes, à autrui, au monde, et de devenir qui nous sommes.
Notes : (1) Nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives.
Source : Hors-série Sciences et Avenir – Juillet, août 2017